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REFUGIES : L'EUROPE SE DEROBE

«Les dirigeants européens cherchent une solution pour eux, pas pour les réfugiés»

AFP

Correspondance particulière. pavlos kapantai

Humanité Dimanche

 

À la frontière entre la Grèce et la Macédoine, des milliers de réfugiés sont pris au piège de l’égoïsme européen. Dans le camp d’Idomeni, la vie tente de s’organiser avec l’aide des ONG. Les élus et la population des villages alentour font preuve d’une solidarité exemplaire mais alertent sur une situation devenue intenable. Personne n’est dupe des prétendues vertus de l’accord honteux conclu le 18 mars entre l’Union européenne et la Turquie. Reportage.

«On a survécu à la guerre, mais vous me le faites regretter ». Écrits sur un bout de carton, les mots sont durs mais pas plus que la réalité quotidienne vécue par les plus de 12 000 réfugiés du camp d’Idomeni. Celui qui tient la pancarte c’est Hussam, jeune photographe syrien de 25 ans arrivé à Idomeni au début du mois de mars. Comme tous ceux qui sont ici, son but était de traverser la frontière vers la Macédoine et de continuer son voyage vers l’Europe du Nord. Mais la frontière s’est fermée et lui comme tous les autres sont pris au piège. En ce 18 mars, jour de sommet européen sur la crise des réfugiés, il n’attend plus grand-chose de l’Europe : « Ce que cherchent les dirigeants européens à Bruxelles c’est de trouver une solution pour eux. Pas pour nous. » Cynique, la réalité lui donnera raison.

Pour tous ces réfugiés syriens, irakiens et afghans, Idomeni est une sorte de purgatoire moderne. En arrivant en Grèce, et donc en Europe, ils ont accompli la moitié de leur rêve, mais, étant donné qu’ils sont bloqués ici, ce rêve se transforme petit à petit, de jour en jour, en enfer.

Des files d’un kilomètre pour l’approvisionnement

Les conditions de vie dans le camp sont pour le moins indignes. À l’origine il était bâti pour héberger jusqu’à 2 000 personnes, et tout y fonctionnait à merveille il y a encore une quarantaine de jours. Mais la folie misanthrope qui s’est emparée des capitales européennes a petit à petit rendu les infrastructures mises en place par le gouvernement grec et les ONG insuffisantes et obsolètes. Des tentes sans lit, de la boue, ainsi que des files longues de plus d’un kilomètre pour s’approvisionner en nourriture, c’est à cela que se résume le quotidien de ses habitants aujourd’hui.

Après que la frontière se fut définitivement fermée pour tous les migrants économiques à la fin de l’automne, mi-février, en réaction aux fermetures des autres frontières européennes, la Macédoine a interdit le passage aux réfugiés afghans et irakiens. La population du camp d’Idomeni s’est alors multipliée très rapidement par trois. Ensuite, au début du mois de mars, même les Syriens ne sont plus passés qu’au compte-gouttes – seuls ceux originaires de la région de Damas et munis d’un passeport y ont été autorisés. Tous les autres ont été considérés comme des membres potentiels de Daech (!). Quelques jours plus tard la frontière s’est définitivement fermée et la population à l’intérieur, aux alentours et dans la région du camp, a explosé. En tout, les municipalités de Paionia (à laquelle appartient Idomeni) et celle, avoisinante, de Kilkis accueillent près de 20 000 personnes sur leur territoire…

En réaction à la fermeture des frontières, le lundi 14 mars, une carte avec des instructions détaillées pour passer en Macédoine a circulé à Idomeni. Des milliers de réfugiés ont tenté l’odyssée. Trois personnes sont mortes noyées en essayant de traverser la frontière à un endroit où passe un fleuve. Des milliers d’autres seront renvoyés en Grèce de manière pour le moins incongrue : sans jamais faire de demande officielle, la police macédonienne a décidé de refouler tous les réfugiés qu’elle attrape vers la Grèce, en faisant tout simplement un trou dans le mur que les autorités de leur pays ont construit. 1 500 personnes ont ainsi été renvoyées de force sur le territoire hellénique. Le mur sera reconstruit immédiatement. L’Europe du XXIe siècle est décidément bien cynique…

Accueil chez l’habitant

« Il faut dire la vérité. Même avec toute la bonne volonté du monde, bientôt on ne pourra plus aider tous ces gens. Quelque chose doit changer, et rapidement. » Lena Anastasiadou, la cinquantaine, est la vice-maire de la municipalité de Kilkis chargée de coordonner tout ce qui touche à la crise des réfugiés. Si son discours peut sembler dur et alarmiste, ses actes, eux, témoignent d’un vrai humanisme.

C’est à Chersos, petit hameau de 600 habitants sur la commune de Kilkis, que le gouvernement d’Alexis Tsipras, en coordination avec l’armée, a installé un centre d’hébergement ouvert pour plus de 3 500 réfugiés et migrants. Lena Anastasiadou a non seulement soutenu le projet gouvernemental auprès de ses administrés mais elle met en place, avec l’aide de très nombreux volontaires issus de la population locale, un programme « d’accueil chez l’habitant ».

Plus d’une vingtaine de familles de Chersos se portent en effet volontaires pour accueillir chez eux des familles de migrants pour quelques jours, « pour qu’ils ressentent un peu de chaleur humaine et qu’ils mangent des plats faits maison ». Après quelques jours d’accueil les familles de réfugiés retournent au camp et d’autres familles sont hébergées chez les locaux. « Dans la région, plus de 60 % des familles sont des descendants directs de réfugiés grecs fuyant la Turquie au début du XXe siècle. On sait ce que c’est que de fuir pour sauver sa vie. » Pourtant elle insiste : « Il faut que ça change : on ne pourra pas continuer comme ça. Tous les jours sur la place centrale du village il y a des centaines et des centaines de réfugiés pour à peine une dizaine de locaux. On sent qu’un malaise et une peur commencent à s’installer petit à petit. »

« ne pas devenir fou »

Que faudrait-il faire ? « Des centres d’hébergement plus petits. Pour un village comme Chersos, qui n’a que quelques centaines d’habitants, on ne peut pas avoir des camps qui comptent des milliers de personnes. » Elle refuse de répondre à toute question de politique nationale ou internationale, mais esquisse un rictus dès que le mot Europe est prononcé.

À Idomeni aussi on a la nette impression que le temps qui passe rend la situation de plus en plus difficile. Un peu partout dans le camp fleurissent les petits commerces. À part quelques Grecs qui vendent des cartes de téléphone, la plupart de ces commerçants improvisés sont des réfugiés essayant de ne pas perdre toutes leurs économies en attendant de passer la frontière. La plupart de ce qu’ils vendent sont les denrées distribuées par les ONG…

Ahmed l’Irakien a, lui, choisi d’exercer de nouveau son métier. Coiffeur de profession il pratique désormais à l’intérieur du camp : « En partant j’ai pris mon équipement avec moi. Bloqué ici, je me suis dit qu’il valait mieux que je me remette à travailler. Je gagne un peu d’argent qui me sera utile quoi qu’il arrive, mais surtout cela m’aide à ne pas devenir fou… » Ayant atteint l’Europe, il croyait être proche de son but : rejoindre l’Allemagne. À aucun moment il n’a voulu croire à la fermeture des frontières, pensant qu’il s’agissait de rumeurs infondées.

Cette volonté de croire qu’ils pourront accéder à leur destination finale joue bien des tours à tous les réfugiés et migrants. Avant le sommet européen qui déboucha sur l’accord surréaliste et inapplicable du 18 mars, les rumeurs d’une réouverture imminente des frontières ont circulé un peu partout en Grèce, amenant à Idomeni des centaines, voire des milliers de réfugiés et de migrants… « Pour la première fois depuis des mois on a revu des migrants économiques arriver dans le camp. Quoi qu’on ait pu leur dire, ils n’ont pas voulu nous croire », explique Dimitri Koukopoulos, psychologue travaillant pour l’ONG Arsis. Depuis, sur la route qui mène à Idomeni, des petits camps improvisés de quelques dizaines ou de quelques centaines de personnes se trouvent à côté de chaque station d’essence. Si ces dernières ont la faveur des réfugiés, c’est qu’elles offrent « WC et eau courante, ainsi que la possibilité d’acheter de quoi manger pas trop cher », nous explique Kutaiba, jeune Syrien de 23 ans qui avec des amis s’est installé près d’une station d’essence à 7 kilomètres d’Idomeni.

Violences ethniques

Dans le camp même, la situation pourrait tourner au tragique très rapidement. La dénonciation d’une tentative de viol d’une petite fille syrienne par un Afghan de 27 ans a depuis une semaine envenimé les relations entre Afghans et Syriens. « Tous les soirs on a des violences ethniques et même des attaques au couteau. Si rien ne change, on se dirige droit vers une immense catastrophe », explique un volontaire qui désire rester anonyme.

Ces derniers jours, Alexis Tsipras a adressé plusieurs appels aux réfugiés pour leur expliquer que les frontières resteront fermées et leur demander de se diriger vers les nombreux centres d’hospitalité qui se construisent par dizaines à travers le pays. Malgré des rumeurs pernicieuses sur la question, à aucun moment un recours à la violence d’État n’a été envisagé pour déloger les milliers d’âmes qui se trouvent à Idomeni.

Du désespoir à l’immolation

Mais ces exhortations suffiront-elles à vider Idomeni de tous ces gens qui s’accrochent à l’espoir ? Selon Christos Goudenoudis, le maire de la municipalité de Paionia, à laquelle appartient Idomeni, cela ne suffira pas. Par conséquent il faudrait « diminuer petit à petit la quantité de nourriture distribuée sur le camp, les gens seront obligés de partir vers les structures d’hospitalité existantes ». Et cela, car « le manque de coordination centrale (1) est probablement le plus grave problème du camp et ce qui le rend de fait invivable. Par exemple : nous attendons des lits pour que les gens ne dorment pas par terre dans les tentes, c’est-à-dire dans la boue. Mais l’ONG qui envoie les lits n’étant pas la même que celle qui a fourni les tentes, on vient de se rendre compte que les lits qu’on recevra bientôt sont trop grands pour les tentes qu’on a… ».

Au-delà de ces détails tragi-comiques, le plus grand danger pour tous, c’est le désespoir. Mardi 22 mars, des sites grecs rapportaient l’histoire d’un réfugié syrien qui aurait tenté de s’immoler pour protester contre la fermeture des frontières. Si l’information n’est pas confirmée à l’heure où ces lignes sont écrites, il est évident que tôt ou tard des incidents de ce genre se multiplieront. Reste à savoir si l’Europe a encore la capacité de s’émouvoir… Comme dit Hussam : « Ne fermez pas les yeux comme vous fermez les frontières. »

L'accord de la honte
Le 18 mars, l’Union européenne a conclu avec la Turquie un accord censé mettre fin au flux de réfugiés arrivant sur les îles grecques. Il prévoit que toute personne, migrante ou réfugiée, qui a traversé la mer Égée irrégulièrement à compter du 20 mars, est renvoyée en Turquie, qui les admettra sur son territoire à partir du 4 avril. Et que, pour chaque Syrien renvoyé en Turquie, l’UE acceptera d’en accueillir un autre venant de Turquie – mais jusqu’à 72 000 seulement ! Quelques fioritures ont été ajoutées pour faire passer un texte qui de fait viole les règles internationales : la Turquie a ainsi été déclarée pays sûr pour les réfugiés et les migrants ; et – c’est promis! – chaque situation fera l’objet d’un examen individuel avant tout renvoi en Turquie. Cette dernière, moyennant une aide financière de 6 milliards d’euros, et la Grèce – à qui ses partenaires promettent des renforts militaires et policiers – sont donc priées d’assumer le rôle de flics. Et de mettre en œuvre un arrangement inapplicable qui, de fait, met fin au droit d’asile en Europe.

(1) N’étant pas officiellement une structure d’hébergement de l’État grec, le camp est géré en partie par la municipalité et en partie par les nombreuses ONG qui y sont présentes.

 

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le 28 March 2016

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