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Charlotte Delbo : l’écriture comme ultime moyen de résistance

Violaine Gelly
L'Humanité
Résistante communiste, Charlotte Delbo est arrêtée en 1942. Déportée en 1943, elle fait partie du seul convoi de femmes politiques à avoir été envoyé à Auschwitz. Par l’écriture, Charlotte Delbo témoignera sa vie durant de la solidarité qui a permis aux déportées de tenir et pour certaines de survivre.

À l’occasion du centième anniversaire de sa naissance, la France redécouvre la figure et les œuvres de Charlotte Delbo, grande voix féminine sur la déportation. Une biographie, des colloques, partout des lectures et des mises en scène de ses pièces de théâtre, redonnent vie à cette écrivaine oubliée.

« Ô vous qui savez

Saviez-vous que les pierres du chemin

[ne pleurent pas

qu’il n’y a qu’un mot pour l’épouvante

qu’un mot pour l’angoisse ?

Saviez-vous que la souffrance

[n’a pas de limite

l’horreur de frontière ?

Le saviez-vous ?

Vous qui savez. »

Elle a trente-trois ans, la jeune femme qui écrit ces vers, au printemps de 1946. Elle est hospitalisée en Suisse, dans une clinique, pour soigner un corps meurtri par vingt-sept mois de déportation, un cœur abîmé et une âme mal en point. Après la lutte contre l’occupant nazi dans la résistance française, l’emprisonnement, la déportation à Auschwitz-Birkenau, la libération, elle s’est écroulée. Vaincue par toutes ces morts dont elle n’a pas pu faire le deuil, cette mort qu’elle a frôlée de tellement près et dont elle ne comprend pas qu’elle ne l’ait pas emportée, comme elle a pris l’homme qu’elle aimait, ses compagnes de combat, ses amies de camp. Alors pour repousser les ombres, elle écrit. Elle écrit comme on pleure, elle écrit comme on vomit. Et puis, elle enferme ce manuscrit dans un tiroir, puis dans un carton. Aucun de nous ne reviendra, ainsi qu’elle l’a nommé en empruntant des vers de Guillaume Apollinaire, l’un des textes les plus forts, les plus puissants de la littérature concentrationnaire, disparaît pour vingt ans.

Charlotte Delbo est née en 1913, d’une famille d’immigrés italiens, fille d’ouvrier. Elle arrête l’école à l’âge de seize ans et devient sténodactylo. Nous sommes au début des années 1930 en France. Membre des Jeunesses communistes, elle assiste aux cours de l’Université ouvrière, ouverte par le PCF pour ses jeunes cadres. Là, la jeune femme tombe amoureuse. Georges Dudach a dirigé, avec Paul Nizan, le journal des JC, les Cahiers de la Jeunesse. Delbo y fait des critiques de littérature et de théâtre. À cette occasion, en 1937, elle est amenée à interviewer Louis Jouvet, la grande star du cinéma et du théâtre français d’avant-guerre. Entre le monstre sacré et la jeune femme, une surprenante amitié va se nouer qui se conclut par une embauche de Charlotte au Théâtre de l’Athénée.

Au début de la guerre, Delbo suit la troupe de l’Athénée et Jouvet en tournée en Amérique latine. Puis, seule, en désaccord avec son « patron », retraverse l’océan Atlantique pour retrouver son mari et la clandestinité. Ils rejoignent tous les deux le réseau Politzer. Et, en mars 1942, tombent avec lui, en compagnie de Georges et Maï Politzer, Danielle Casanova, Marie-Claude Vaillant-Couturier. Georges Dudach est fusillé le 23 avril 1942. Après le fort de Romainville, Charlotte Delbo et ses compagnes sont déportées, le 23 janvier 1943, à Auschwitz. Elles sont 230. Cinq mois plus tard, la faim, le typhus, le froid et les travaux forcés en auront tué 180. Puis elles sont transférées à Ravensbrück. En avril 1945, elles seront 49 à revenir.

Au retour, à Paris, l’état de santé de Delbo nécessite une longue convalescence en Suisse. C’est là qu’elle écrit Aucun de nous ne reviendra, avant de l’enfermer dans un tiroir pour juger de l’épreuve du temps sur son manuscrit. Elle travaillera à l’ONU, puis au CNRS. Mais le combat et l’écriture la rattrapent. Aux Éditions de Minuit, elle publie les Belles Lettres, une anthologie de missives écrites par des opposants à la guerre d’Algérie. Puis, elle publie enfin Aucun de nous ne reviendra, suivi des deux autres tomes de sa trilogie Auschwitz et après. Avec le récit des biographies des 230 femmes du Convoi du 24 janvier, elle rend hommage à ses sœurs de souffrance et assume le rôle qu’elles lui avaient fixé : témoigner. Ses mots, son ton sans pathos, sa précision dans les descriptions, son implacable talent. Avec la parution de ces livres, un verrou saute chez Delbo. Elle ne cessera plus d’écrire, textes, chroniques, poèmes, pièces de théâtre. L’écriture comme ultime moyen de résistance, l’écriture comme acte politique.

Alors que le cancer du poumon qui rattrape cette grande fumeuse la prive lentement de ses forces, Delbo écrit et témoigne jusqu’au bout. Elle enchaîne les conférences, notamment aux États-Unis où son œuvre ne cesse de susciter des thèses et ses pièces d’être montées. Alors qu’elle est ignorée en France. Au Pavillon français d’Auschwitz, des cinq portraits symboles de la déportation française, elle est la seule non juive. Un hommage posthume. Ses derniers mots, sur son lit d’hôpital, sont pour sa meilleure amie : « Tu leur diras, toi, que j’ai eu une belle vie. »

la singularité d’un témoignage  Née en 1913 et décédée en 1985, Charlotte Delbo a mêlé sa vie à celle d’un siècle. Son œuvre 
se décline sur deux versants. Le premier est celui de ses récits. Contre la guerre d’Algérie : 
les Belles Lettres (Minuit, 1961). Sur les camps : le Convoi du 24 janvier (Minuit, 1965), Mesure de nos jours. Auschwitz et après (Minuit, 1970-1971), la Mémoire et les Jours (Berg International, 1985), Spectres, mes compagnons (Berg International, 1995). Le deuxième versant est celui de son théâtre : la Théorie et la Pratique (Anthropos, 1969), la Sentence (P.-J. Oswald, 1969), Qui rapportera ces paroles ? (P.-J. Oswald, 1974), Maria Lusitania & le Coup d’État (P.-J. Oswald, 1975), la Ligne de démarcation & la Capitulation (P.-J. Oswald, 1977), Ceux qui avaient choisi (les Provinciales, 2011).

 

Pour en savoir plus sur la vie et l’œuvre de Charlotte Delbo : Charlotte Delbo, par Violaine Gelly et Paul Gradvohl, 
Éditions Fayard, 2013, 324 pages, 19 euros.

Un site : www.charlottedelbo.org. En partenariat avec Citéphilo : http://www.citephilo.org/manif/charlotte-delbo-fayard.

 

 

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Charlotte Delbo : l’écriture comme ultime moyen de résistance

le 10 juillet 2015

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